Oui aux échanges, non à l’isolement!

Extension de la procédure en 24 heures testée à Zurich à tous les centres de procédure

Si l’on suit la politique d’asile de ces 20 dernières années, on peut constater qu’il y a toujours des personnes qui pensent avoir trouvé l’œuf de Colomb pour maîtriser les phénomènes qui apparaissent dans le domaine de l’asile. En y regardant de plus près, on constate que la roue tourne, tourne et que ce sont toujours les mêmes idées qui reviennent sur la table.

1. La roue tourne et tourne encore

Lorsque le SEM est confronté à une augmentation des demandes d’asile en provenance de certaines régions, la politique s’en mêle régulièrement et met une pression supplémentaire sur le système d’asile. On cherche alors dans le coffre aux trésors du droit d’asile et les mêmes recettes reviennent sans cesse sur la table : des procédures encore plus courtes, des restrictions des droits de certains groupes de demandeur·euses d’asile dans le but de les dissuader de venir en Suisse. Une fois de plus, ce n’est pas l’idée de protection qui est mise en avant, mais celle de défense, et ce au détriment des droits humains des requérant·es d’asile concerné·es par ces mesures.

Une procédure accélérée avait déjà été introduite en août 2012, à l’époque une procédure de 48 heures. Elle concernait les personnes originaires de pays européens exemptés de visa. Mais en réalité, cette procédure concernait principalement les Roms de Macédoine, de Bosnie-Herzégovine et de Serbie, qui étaient alors de plus en plus nombreux à entrer en Suisse et à y déposer une demande d’asile. En mars 2013, cette procédure a été étendue aux demandeur·euses d’asile originaires de Géorgie et du Kosovo.

Si les demandes émanant de ressortissant·es de ces pays ont diminué de manière drastique, on ignore combien de personnes sont passées dans la clandestinité ou ont poursuivi leur route vers d’autres pays européens à la suite de cette pratique. De plus, le système d’asile a été fortement mis à l’épreuve par ces procédures parallèles, qui n’ont finalement pas toujours été aussi courtes que l’Office fédéral de l’époque voulait bien le reconnaître. De nombreuses procédures ont duré des mois. C’est précisément en période de pression accrue sur les structures procédurales que ces procédures courtes ne fonctionnent généralement plus que de manière limitée, les droits des personnes concernées étant parfois drastiquement restreints.

2. Procédure courte pour les demandeur·euses d’asile de certains pays d’origine – une discrimination

A l’époque, comme aujourd’hui, l’introduction de la procédure courte est justifiée par la forte saturation des structures d’hébergement pour demandeur·euses d’asile d’une part, et par les actes délictueux ou le comportement difficile d’un petit groupe de requérant·es originaires de ces pays d’autre part.

La décision de ne pas donner d’argent de poche aux Roms, contrairement aux autres demandeur·euses d’asile, a été associée à la procédure en 48 heures. En conséquence, des familles entières de Roms ont été placées dans des abris militaires isolés, n’ont pas reçu d’argent de poche et n’ont même pas pu acheter une bouteille d’eau à leurs enfants lorsqu’ils ont quitté le centre pour quelques heures. Les Roms ont donc été victimes de la même discrimination dans notre pays que dans leur pays d’origine.

Dans la procédure actuelle en 24 heures, les Maghrébins remplacent les Roms. Sont concernées par cette procédure les personnes demandeuses d’asile originaires du Maroc, de Tunisie, d’Algérie et de Libye. Si l’on ne peut nier qu’un petit groupe de Maghrébins sont des délinquants multirécidivistes, ou qu’ils sèment le trouble dans les structures d’hébergement, la police neuchâteloise a clairement communiqué qu’il s’agissait d’une petite minorité, et que la grande majorité des Maghrébins se comportaient tout à fait correctement chez nous.

Il est contraire au principe de non-discrimination de traiter les personnes demandeuses d’asile différemment des autres requérant·es uniquement en raison de leur origine de certains pays et du comportement négatif de certains de leurs compatriotes dans la procédure d’asile.

Il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact psychologique de la stigmatisation des demandeurs d’asile maghrébins par l’État sur la population suisse d’une part et sur les instances décisionnelles d’autre part.

3. Situation des droits humains dans les pays mentionnés

Le fait que seule une minorité de requérant·es d’asile du Maroc, de Tunisie, d’Algérie et de Libye soient reconnu·es comme réfugié·es ne doit pas faire oublier que de graves violations des droits humains ont lieu dans tous ces pays et qu’il est tout à fait possible que des personnes persécutées et particulièrement vulnérables se trouvent parmi les demandeur·euses d’asile de ces quatre pays. Le signal envoyé par le SEM laisse cependant croire à de larges couches de la population qu’il n’y a pas de violations des droits humains dans ces pays.

Or, au Maroc, en Tunisie et en Algérie, il n’est pas rare que les journalistes, les blogueurs, les critiques du régime, les membres d’organisations de la société civile, les membres de la communauté LGBTIQ et les membres de minorités (population sahraouie au Maroc) soient placé·es sous surveillance électronique. Toute critique de l’action des institutions étatiques ou tout rapport sur des actions de protestation peut donner lieu à des poursuites judiciaires et à des peines de prison de plusieurs années. A l’intérieur et à l’extérieur des prisons, les forces de sécurité se livrent régulièrement à des mauvais traitements, des actes de torture et des agressions sexuelles graves, tolérés par les supérieurs et largement impunis.

En Tunisie, les acquis du printemps arabe ont été massivement limités et le régime a même pris des mesures contre les parlementaires de l’opposition qui s’étaient rebellés contre le nouveau président. L’indépendance des tribunaux n’est plus garantie et de nombreux juges ont été démis de leurs fonctions. Les avocat·es sont également de plus en plus exposé·es à l’arbitraire. Comme au Maroc, les mêmes groupes de personnes sont victimes de l’arbitraire de l’État. En Tunisie également, les exactions commises par les forces de sécurité restent largement impunies.

En Algérie aussi, les mêmes groupes de personnes sont traités de manière arbitraire par l’État sur la base de la législation antiterroriste. La liberté de culte n’est pas garantie. De nombreuses églises ont été fermées. Les minorités musulmanes ainsi que les avocat·es sont également ciblés par les autorités et sont victimes de l’arbitraire de l’État. Les personnes proches d’organisations kabyles risquent également des poursuites pénales. La torture et les mauvais traitements infligés par les forces de sécurité restent en grande partie impunis.

En Libye, les différentes milices agissent de manière totalement arbitraire et cruelle contre les opposant·es, dans une impunité totale. Les conditions de détention sont cruelles et les disparitions de personnes indésirables sont fréquentes. L’avenir politique de la Libye est totalement ouvert et le pays se trouve dans une impasse politique.

4. Augmentation du risque de décisions erronées

La procédure accélérée introduite en 2019 a déjà suffisamment démontré que les personnes traumatisées, en particulier, rencontrent des difficultés à gérer les délais courts de cette procédure et ne sont souvent pas en mesure de prouver leur vulnérabilité particulière en raison de la difficulté d’accès aux médecins spécialistes. Elles sont alors poussées à travers la procédure d’asile sans avoir réellement la possibilité d’exposer pleinement leurs motifs de fuite, ce qui peut conduire à des décisions erronées. Même si les mesures prises par le SEM ont permis certaines améliorations, le risque est grand que de telles situations soient noyées dans le stress de la procédure en 24 heures.

Contrairement à 2012/13, où les personnes demandeuses d’asile étaient majoritairement livrées à elles-mêmes, elles ont aujourd’hui au moins une représentation juridique. Dans ce contexte, celle-ci a un rôle extrêmement important à jouer. Malheureusement, la coalition indépendante de représentants juridiques a constaté que cette tâche n’est pas accomplie par tous les représentant·es juridiques avec la même éthique professionnelle et la même persévérance, et que la rigueur de la procédure dépend finalement aussi du centre de procédure auquel les requérant·es d’asile sont attribué·es. Cela ne devrait pas se produire dans une procédure conforme à l’État de droit. 

5. Quelles sont les solutions possibles en cas de forte saturation des structures d’hébergement et de comportement pénal ou problématique de certaines personnes demandeuses d’asile ?

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’asile, la procédure d’asile a subi d’innombrables modifications face à un système d’asile de plus en plus sollicité. L’accès à la procédure est devenu de plus en plus difficile. Les droits des demandeur·euses d’asile, mais aussi des réfugié·es reconnu·es, ont été restreints au fil des ans, mais des fonds additionnels pour du personnel supplémentaire ont été rejetés par le Parlement dès les années 1980.

Il n’y a pas de miracle. Les procédures d’asile ne sont pas de simples processus administratifs que l’on peut mener à la baguette. Les décisions erronées peuvent avoir de graves conséquences et détruire l’équilibre physique et psychique d’une personne ou d’une famille entière. Les exemples sont nombreux.

La procédure d’asile actuellement en vigueur est déjà une procédure courte qui atteint ses limites. Les collaborateur·trices du SEM atteignent eux·elles aussi leurs limites. Accélérer encore cette procédure n’est pas une solution. Si le nombre de demandeur·euses d’asile double, le nombre de collaborateur·trices du SEM doit être adapté en conséquence. Sinon, les autorités compétentes seront confrontées à un taux de rotation élevé, ce qui entraînera la perte d’un savoir-faire important et d’un temps considérable pour la formation de nouveaux et nouvelles collaborateur·trices, et réduira le rendement.

Que la procédure Dublin (57% des procédures de Maghrébins) dure 24 heures ou quelques jours n’a aucune influence sur la longueur de cette procédure, car il faut de toute façon attendre la réponse de l’État tiers compétent. Si un requérant d’asile délinquant ou ayant des problèmes de comportement entre dans la procédure nationale, sa procédure peut être avancée de manière ciblée, sans stigmatiser tou·tes ses compatriotes qui se comportent correctement. Des exemples du passé (Tessin) montrent en outre que l’introduction de vastes programmes d’occupation d’utilité publique a conduit à une forte pacification de la situation dans et autour du centre fédéral de Chiasso. Le crédit de 70 000 francs utilisé à cet effet a fait des merveilles. L’intégration des requérant·es d’asile dans notre société a eu un impact bien plus important que l’exclusion due à l’enfermement de ces personnes dans les centres fédéraux.

La promotion du contact entre les personnes requérantes d’asile et la société civile est une solution tout aussi importante que le renforcement des structures d’encadrement. Malheureusement, les projets de la société civile échouent régulièrement en raison des obstacles bureaucratiques élevés que le SEM impose à de tels projets. Pour le renforcement des structures d’encadrement également, les possibilités d’action se situent au niveau du SEM, qui pourrait augmenter le taux d’encadrement au détriment du taux de sécurité. Un projet pilote dans ce sens est toutefois suspendu au motif que le crédit correspondant n’a pas été accordé.